J’ai suivi des ombres durant toute la création de Ballad of the Shadow. Elles ont favorisé des audaces et des expérimentations nouvelles pour moi. Le statut hybride d’expérimentateur d’outils technologiques nouveaux et de musicien a autorisé aussi des prises de risque : j’étais protégé par l’expérience, aussi importante que le résultat.
Tout a commencé par ces six notes qui ont accroché mon oreille :
Étrange cette mélodie mais terriblement entêtante. La machine avait analysé 429 partitions de standards de Jazz, il y avait donc matière à générer de la musique, des millions de possibilités, même en imposant des contraintes de notes ou d’accords. Au fil des clics (chaque clic c’est une nouvelle proposition qu’il faut garder ou non), le morceau est apparu avec au centre ces quelques notes de musique. La boucle de 8 mesures marchait très bien.
Que faire de cette mélodie?
J’ai tâtonné, je me suis fourvoyé dans des impasses mais cette mélodie me semblait trop forte pour ne pas insister.
Parmi ces impasses, une version dessin animé western où j’imaginais Mr Shadow sur un cheval élastique avançant dans un désert bizarre.
une version Nintendo
et même une très improbable version dans le style de Ruychi Sakamoto.
Pas gagné… J’avais le titre, La Ballade de l’Ombre mais je n’avais pas la forme.
SKYGGE
Dès le début de mon expérience avec Flow Machines en 2015, j’ai associé de façon un peu inconsciente ce projet au conte d’Andersen, L’Ombre. En m’inspirant de l’idée du conte avec cette Ombre qui s’émancipe du personnage réel, je pouvais jouer avec les ombres des chansons, des compositeurs dont je nourrissais la machine. Dans ce jeu d’ombre, il me semblait exclu d’avoir un chant trop réaliste. Il fallait que le son de la voix évoque cette ombre. Je devais inventer un processus de production qui évoque cette ombre vocale.
J’ai commencé par aller pêcher une voix sur le net. J’ai trouvé un Cow-Boy qui chantait une chanson de western. J’ai découpé cette voix syllabe par syllabe que j’ai étiré, dont j’ai modifié la hauteur pour la forcer chanter ma mélodie. Au bout de quelques heures, j’avais mon titre, couplet, pré refrain.
Pour composer le refrain, j’ai commencé par allonger une syllabe de cette voix, au maximum comme une guimauve. Le vibrato ondulait au ralenti. J’ai créé un tapis doux de notes en quartes. Le retour au couplet était simple, avec un accord de neuvième un peu blues.
Plus tard, ce processus de transformation d’une voix deviendra un outil de Flow Machines, permettant de générer des voix en un clic, Mashmelo.
Pour créer le décor musical de mon shadow opéra, j’ai entré dans la machine un titre d’ambiant de Bruno Ryan. Je l’ai fait générer par l’IA sur ma partition de Ballad of the Shadow en ralentissant le tempo à 80 pbm. L’ambiance était très belle, un roulement de caisse claire assourdie m’a donné le groove du morceau.
C’était une révélation pour moi. Je nouais avec un pan de ma créativité qui n’avait jusqu’à lors pas assez eu l’occasion de s’exprimer. Fruit d’une double distanciation, le jeu avec une entité extérieure, la machine et un dédoublement avec une ombre comme interprète, le son que j’avais créé me correspondait pourtant entièrement. Ça m’a rappelé une chanson de Katerine « ne soyez jamais vous-même! ». Je n’aurais jamais écrit un tel morceau sans une IA. J’avais crée mon ombre, qui s’avère être un Cow Boy de l’espâââââce.
Pour convaincre les autres musiciens, cette chanson a été décisive.